imprévu-voyage

Parce que le voyage n’est pas toujours un long fleuve tranquille…

Mardi. 21h00. Je passe ma dernière soirée à Berlin après une grosse semaine de travail et un gros week-end de fête. Pour ces dernières heures dans la capitale allemande, j’hésite à sortir ou à me blottir sous la couette. Décision très difficile à prendre. Ma fatigue et le temps exécrable (pluie et vent) viennent peser dans la balance. Je reste dans mon appartement loué sur Airbnb. Mais est-ce que je ne boirais pas une dernière bière berlinoise en compensation ? Allez, oui !

Je prends ma veste, les clés sur la table et je sors. Je laisse mon portable que j’utilise déjà beaucoup trop. Souvent, j’essaye de m’en séparer pendant quelques minutes pour me prouver que je ne suis pas accro. Je claque la porte de mon logement et je me retrouve sur le palier. Tout à coup, une vision d’horreur vient à moi. Dans mes mains, les clés ressemblent plus à celles de mon appartement qu’à celles de mon logement berlinois. Impossible. Je fouille dans toutes mes poches. Un sentiment de panique m’envahit. Je ne peux pas être bloqué sur le palier sans mon téléphone et dans un pays qui n’est pas le mien. Je fouille encore. J’essaye d’ouvrir la porte avec les clés qui ne sont définitivement pas les bonnes. L’espoir fait vivre ! Il fait froid dans le couloir et pourtant, j’ai une goutte de sueur qui fait son apparition sur mon front.

« Je n’ai pas fait ça. Je n’ai pas fait ça. Je n’ai pas fait ça. Je n’ai pas oublié les clés à l’intérieur. Je suis en train de faire un mauvais rêve ».

Je ferme les yeux. Je les rouvre. Je dois me rendre à l’évidence. Je suis toujours sur le palier et je n’ai toujours pas les bonnes clés dans la main. Un sentiment très désagréable s’empare de moi. Un peu comme si j’allais faire une crise de nerf ! Pendant quelques secondes, impossible de penser…

« Respire, respire, à tout problème, il y a une solution ! ». Oui, je sais, je parle souvent seul. Est-ce une névrose des voyageurs solitaires ?

Ma respiration est loin d’être celle d’un mec qui médite. Elle est plutôt haletante mais me permet au moins d’oxygéner mon cerveau.

J’organise mes pensées : je ne peux plus accéder à mon appartement et je n’ai pas de téléphone portable. J’ai loué le logement à une jeune fille qui s’appelle Ulrike et qui est en déplacement professionnel bien loin de Berlin.

Elle doit sûrement avoir laissé un double de ses clés à l’un de ses voisins ou alors l’un de ses voisins sera assez aimable pour m’accueillir chez lui et me permettre de me connecter à Internet pour récupérer les coordonnées d’Ulrike. D’ailleurs, est-elle locataire ou propriétaire de l’appartement qu’elle me loue ?

Locataire, je pense… Car elle m’a demandé de préciser que j’étais l’un de ses amis dans le cas où je croiserais un habitant de l’immeuble. C’est interdit de sous-louer un appartement sans avoir l’autorisation de son propriétaire.

Peu importe, je toque à la première porte qui se trouve sur le même palier. Petite précision : j’ai pris allemand en première langue et j’ai suivi des cours de cette magnifique langue jusqu’à l’université. Manque de pot, mon cerveau n’a jamais rien voulu imprimer et je n’ai pas parlé la langue de Goethe depuis l’âge de 20 ans. Bref, j’ai 33 ans et je sens que ça va être compliqué.

« Hallo, es tut mir leit. Ich bin Ulrike freunde. Ich spreche nicht Deutsch. Do you speak English ? ».

J’entends la voix d’un monsieur qui me parle à travers la porte mais que je ne comprends pas. Je me répète. La porte reste fermée et j’entends un truc du genre : « kein helfen ». Je crois comprendre ce que ça veut dire… Grosse ambiance ! L’autre porte située au même étage ne s’ouvrira pas non plus. À l’étage en-dessous, je re-tente ma chance. Toc toc toc. J’entends du bruit et je me sens épié par le judas. J’essaye de faire bonne figure. Ça ne marche pas. Les portes restent closes.

Est-ce ma barbe le problème ? Ou mon allemand défaillant ? Ou les deux ? Et la solidarité dans tout ça ?

Bon. La crise de nerf n’est toujours pas loin. Une chose est sûre. Je dois me connecter à Internet. Je m’apprête à sortir de l’immeuble pour m’atteler à ma mission mais un autre problème survient. Que faire avec la porte d’entrée ? Je doute de pouvoir compter sur l’amabilité de mes voisins pour m’ouvrir la porte à mon retour. Heureusement, j’ai une poubelle à la main que je m’apprêtais à sortir ! Je coince le carton de mon paquet de céréales pour que la porte ne se referme pas une nouvelle fois derrière moi.

Il est 21h30. Il fait nuit noire et un froid de canard. J’ai oublié de vous préciser que mon appartement se situe dans un quartier résidentiel… Heureusement à Berlin, il y a toujours un Späti dans les environs. Je marche quelques minutes pour en trouver un. C’est une épicerie de quartier typiquement berlinoise et surtout c’est un commerce qui ouvre toute la nuit.

« Hallo, es tut mir leit. Ich spreche nicht Deutsch aber hast du Internet ? ».

Le monsieur plutôt souriant (un peu d’humanité dans ce monde de brutes) ne semble pas vraiment me comprendre. J’essaye en anglais. Toujours pas ! Mince. Il semble être Pakistanais.

« INTERNET » je répète avec force et conviction !

Il m’a compris. Alléluia !

« NEIN ». Il me dit ne pas avoir Internet. Mais tout le monde a Internet de nos jours nom d’une pipe (je ne pense pas avoir utilisé exactement cette expression à ce moment mais celle-ci est plus politiquement correcte) !

Il me parle en allemand et c’est à mon tour de ne pas comprendre. Heureusement qu’il y a le langage corporel. Il me montre une direction en répétant à son tour « Internet ». Soit il veut se débarrasser de moi au plus vite, soit il me montre le chemin pour accéder à la technologie qui me délivrera de cette situation (enfin j’espère). Je marche, vite, très vite. Au bout de quelques minutes et une fois bien mouillé par la pluie, j’aperçois un autre Späti accompagné du mot Internet.

Je déboule en trombe dans l’épicerie. Une charmante jeune femme se tient debout derrière le comptoir. Elle est est en pleine conversation téléphonique dans une langue qui ressemble à du turc. Je crois qu’elle lit la panique sur mon visage et s’arrête net dans sa discussion. Elle me salue en allemand et je lui réponds la phrase que je ne cesse de répéter depuis maintenant près d’une heure :

« Hallo, es tut mir leit. Ich spreche nicht Deutsch. Do you speak English ? ».

Elle me regarde comme si j’étais un extraterrestre (mais un gentil extraterrestre) et me répond ce mot que je commence à détester : NEIN

Un jeune allemand est en train de choisir sa bière dans l’un des nombreux réfrigérateurs. Je lui saute dessus :

« Do you speak English ? »

« Yes, I do ! » me répond-il. BONHEUR. Je lui explique mon problème qu’il s’empresse de traduire à la jeune fille. Elle semble désolée pour moi et montre beaucoup d’empathie malgré la barrière de la langue. Elle me montre une salle à l’arrière avec de nombreux ordinateurs. Je suis dans un cyber Späti !

Le jeune allemand s’en va avec sa bière dans la main et je m’installe devant mon écran. En quelques secondes, je récupère le numéro d’Ulrike et retourne voir la jeune épicière. Elle me prête son téléphone. Je compose le numéro… Ça sonne. Personne ne décroche et je tombe sur un répondeur. Je vérifie le numéro et j’essaye d’appeler encore et encore. RIEN. Bon, au moins j’ai Internet. J’envoie un mail à Ulrike pour lui expliquer le problème. J’en profite pour partager ma mésaventure sur Facebook. On ne sait jamais, l’un d’entre vous peut avoir une idée lumineuse.

Je rappelle Ulrike. TOUJOURS RIEN. Je regarde rapidement si des hôtels se trouvent dans le coin histoire de passer la nuit au chaud et de retrouver Ulrike au petit matin pour qu’elle m’ouvre la porte. Toutes les idées, farfelues ou pas, me passent par la tête.

Je contacte Yanina que j’ai rencontré au Brésil il y a quelques années et que j’ai revue l’après-midi à Berlin. J’en profite pour envoyer des messages à toutes les personnes que je connais de près ou de loin dans la capitale allemande. Ils ne sont pas nombreux.

La première à me répondre, c’est Yanina. Elle est au travail mais réussit à me consacrer un peu de temps. Je lui explique la situation. On échange quelques minutes sans vraiment trouver de solution.

« Pourquoi n’appellerais-tu pas un serrurier ? » me dit-elle. Bonne idée ! Sauf que je ne parle pas allemand, que je ne suis pas propriétaire de l’appartement et que la dernière fois que j’ai fait appel à un serrurier, il a endommagé la porte.

J’essaye de rappeler Ulrike. RIEN. Bon, je n’ai pas le choix. Je demande à Yanina d’appeler le spécialiste des trous de serrure, de lui exposer le problème et de lui demander de venir à l’adresse que je lui indique.

Après de trop longues minutes d’attente, elle me recontacte pour me dire qu’il est en route et qu’il va arriver vers 22h30. OUF !

Je remercie l’épicière comme si elle m’avait sauvé la vie et je lui demande de m’indiquer où se trouve un distributeur de billets. Rares sont les commerces qui acceptent la carte bancaire à Berlin… Bien évidemment, il se trouve dans la direction opposée. Je cours jusqu’au distributeur, retire de l’argent, donne quelques pièces à un mendiant (car lui va certainement rester dormir dehors), rebrousse chemin pour arriver devant le numéro 79 où je séjourne depuis plus d’une semaine. Bon, le carton que j’avais placé pour maintenir la porte d’entrée n’est plus là et je me retrouve cette fois-ci bloqué à l’extérieur. Il pleut toujours et le serrurier tarde à arriver…

Est-ce qu’elle lui a donné la bonne adresse ? Est-ce qu’il a eu un contre-temps ? Est-ce qu’il viendra ? Plus le temps passe, plus j’ai froid et plus je me pose des questions. Est-ce que je dois retourner dans le cyber späti ?

Une camionnette s’arrête. Il est là. ALLÉLUIA (encore une fois). Je cours à sa rencontre. Il semble plutôt sympathique. Yanina m’a prévenu. Il ne parle pas Anglais. Je lui répète ma phrase que je maîtrise maintenant parfaitement.

« Hallo, es tut mir leit. Ich spreche nicht Deutsch ».

Nous nous dirigeons vers la porte de l’immeuble. Il me demande le nom de famille d’Ulrike. Oups, je ne m’en souviens pas ou je ne l’ai jamais su ! Il me regarde d’un air surpris. Il sonne une fois. Une deuxième fois. Une personne répond. L’échange dure au moins une minute. Je ne le comprends pas mais je sens de la méfiance dans la voix de la personne qui est à l’autre bout de la sonnette. La porte s’ouvre enfin.

Dans l’escalier, j’essaye d’expliquer au serrurier qu’il s’agit d’un appartement Airbnb et que si les voisins s’en mêlent, ce serait mieux de dire que je suis un ami d’Ulrike. Je crois qu’il me prend pour un fou (mais un fou gentil).

Une fois fois arrivés sur le bon palier, il se met au travail. Il essaye d’abord avec un papier rigide qui ressemble à une radiographie. Ça ne fonctionne pas. Il tente ensuite avec un fil de fer amélioré. Ça ne fonctionne pas non plus. Le bruit de ses tentatives résonne dans toute la cage d’escalier. Je sens la présence des voisins qui nous épient derrière leur porte. J’espère qu’ils ne vont pas appeler la police.

En voyant le serrurier s’énerver, je redoute le pire. Il est en sueur et moi aussi ! Il sort une longue tige d’acier. D’un bout et de l’autre, d’autres tiges amovibles. Un véritable bras articulé. Il l’insère par la fente de la boîte aux lettres qui est située au bas de la porte. Je crois que son but est d’ouvrir la poignée de cette manière. Il n’y arrive pas.

Ce n’est plus du bruit qui résonne dans la cage d’escalier mais un sacré vacarme. Derrière les portes qui nous entourent, les voisins trépignent ! Je les entends. Mais l’artisan a plus d’un tour dans son sac. Il démonte le judas et y insère son bras articulé. Un coup, deux coups, trois coups, j’entends la poignée qui s’actionne et la porte qui s’ouvre. ALLÉLUIA (encore, encore et encore). JOIE, BONHEUR, SOULAGEMENT. Un sentiment très agréable s’empare de moi ! Je suis même heureux de donner 150 euros à ce monsieur. Lui aussi est mon sauveur !

Fin de l’histoire, je suis épuisé. Que d’émotions pour cette dernière soirée berlinoise que je ne suis pas prêt d’oublier. J’ai donné 5 étoiles à Ulrike. Elle aussi (le système de notation Airbnb). Tout est bien qui finit bien.